samedi 20 juillet 2013

Le journaliste de la GVA et la propagande nazie


Mon grand père, Robert de Haan (1918 - 2010), fut reporter au journal Les Sports avant la seconde guerre mondiale. Parmi ses nombreux écrits, j'ai retrouvé ce souvenir d'une compétition où les Allemands s'étaient distingués. Un journaliste de la Gazet van Antwerpen y posa un geste qui fera écho pour ceux qui, 75 ans plus tard, défendent le cordon sanitaire.


Le championnat d'Europe de water-polo de 1938.

par Robert de Haan

En 1938, pour le journal Les Sports, j'ai assuré le reportage du championnat d'Europe de water-polo. Participaient à cette compétition les équipes nationales d'Allemagne, de France, d'Italie, de Belgique et des Pays-Bas, et ce dans la petite ville de Doetinchem près de Arnhem[1].

Le tournoi fut gagné par l'équipe allemande.

A la surprise générale, lors de la remise du trophée, ce fut un groupe de militaires allemands, en grande tenue (avec leur veste à très grands revers), qui vint en prendre possession. Il était choquant de voir l'armée utiliser une victoire sportive pour servir la propagande d'Hitler.

Nous étions à la veille de la guerre. Et son antisémitisme était connu de tous.

Un fait marqua la remise de la Coupe. La tribune de presse avait été désertée. Lorsque l'hymne allemand retentit, un journaliste était resté à sa place, bien visible. Tout en haut de la tribune, resta assis Maurice Blitz, juif de nationalité belge qui couvrait le championnat pour la Gazet van Antwerpen. Il resta figé sur la banquette...

Cette simple mais courageuse prise de position n'eut heureusement aucune suite fâcheuse pour son auteur. Je m'en réjouis encore. Maurice Blitz était le père de Gérard-Louis qui jouait dans l'équipe belge, et qui fut le concepteur du Club Méditérannée. Maurice était aussi le frère de Gérard Blitz, champion olympique 1924 à Anvers.





[1] Ville martyre lors de la libération des Pays-Bas en septembre 1944





mardi 16 juillet 2013

Mourir bêtement


(motocyclisme et existentialisme)


En descendant de la voiture, ma fille a éclaté en sanglots. Choquée par la vue de cet accident, mais plus encore par une phrase que j'avais prononcée en voyant l'ambulance de réanimation partir sirène hurlante :
- "Survivre à un pareil accident, il lui faudra de la chance..."
De ces petites phrases définitives et imprudentes qu'un adulte laisse échapper, quand il oublie que sur la banquette arrière les enfants les entendent, et doivent les digérer seuls derrière le mur formé par les dossiers.
-  "Ce n'est pas ce que j'ai vu qui me  fait pleurer" me dit ma fille, "mais c'est de penser qu'un homme est en train de mourir".
Car les enfants peuvent encore s'émouvoir de la mort d'inconnus. Une disposition qui sans doute rendrait le monde meilleur, si elle ne s'émoussait avec les années. Mais ce dimanche, moi aussi j'étais aussi touché par cet accident qui me renvoyait de façon troublante à mon passé, mon passé de motard.
Ainsi quand sur l'autoroute ce groupe de motos nous a dépassés, j'ai aussitôt pensé que cela pouvait tourner mal. Elles roulaient vite, certes, mais surtout on voyait que les pilotes faisaient la course, entre eux et avec les voitures, slalomant, freinant, puis accélérant furieusement.

Je me suis souvenu des virées entre copains, et de cette émulation qui insensiblement nous faisait rouler de plus en plus vite et de plus en plus fort. Puis de ces années de "pilote d'essai" pour un magazine spécialisé, durant lesquelles on cherchait les limites comme si c'était un devoir journalistique, et où rouler à plus de 200 semblait juste normal. Je n'ai pas renoncé quand sur une route d’Ardèche, j'ai vu un collègue passer sous un camion. Ni non plus quand je me suis retrouvé étendu dans un champ, parce que le virage était glissant, mais surtout parce que je m’accrochais à la roue d’une meilleure moto avec un meilleur pilote, qui lui n’est pas tombé.

Ma carrière de motard, je l’ai commencée à 15 ans, pas même l’âge du permis cyclomoteur. Jacky, un copain de ma grande sœur qui possédait une 350, me l’avait prêtée pour faire un tour. Il s’est terminé aux soins intensifs. Je revois mes parents penchés au-dessus du lit, avec ce masque blanc qui de leur visage laissait seulement voir les yeux mouillés de larmes. Je ne me pardonnerai jamais la peur que je leur ai infligée. Comme Jacky ne s’est jamais pardonné d’avoir passé sa moto au gamin que j’étais. Aujourd’hui, Jacky est à son tour sur un lit d’hôpital, depuis des mois, le corps en mille morceaux. Il a été fauché par une voiture qui fuyait la police. La moto, c’est aussi ça : les folies des jeunes, mais la vulnérabilité même pour les plus expérimentés.

L’accident de mes 15 ans ne m’a pas vraiment traumatisé. Je me souviens surtout de l’admiration de mes copains pour lesquels je devenais un héros, et de toutes les filles qui signaient mon plâtre. J’ai promis à ma mère de ne plus toucher un guidon, promesse tenue jusque la bonne vingtaine. Cette promesse m’a peut-être sauvé la vie, vouant mes premières années de conducteur sur quatre roues et sous une carrosserie protectrice. Motard repenti, motard rescapé, j’ai surtout eu la chance de n’avoir jamais croisé l’automobiliste distrait ou les voyous en fuite.  Je pense aussi avoir toujours gardé au fond de moi une certaine sagesse, à moins que ce soit la frousse, qui retenait la poignée de gaz. C’est cette conscience du danger qui m’a poussé, quelques mois avant la naissance de mon ainée, à revendre ma 750 et ne plus jamais monter sur une moto.

Une question me reste et m’habite depuis cette époque. Pourquoi l’être humain - et particulièrement les jeunes hommes - est ainsi tenté par ce flirt avec la mort ? Qu’avons-nous à prouver ? Vivre n’est-il pas suffisamment dangereux sans chercher les limites ? Et puisqu’il faut prendre des risques, ne peut-on s’en tenir aux risques utiles et nécessaires ? Faut-il que nous soyons bêtes pour nous exposer à mourir aussi bêtement ?

La condition humaine porte décidément l’autodestruction en elle. Parce qu’elle est trop lourde à supporter, et parce que l’immédiat nous aveugle, sans doute. Aussi parce que la liberté définit notre humanité, et qu’elle emporte la faculté de se nuire, voire d’en finir. Camus a écrit que le suicide est le seul problème philosophique vraiment sérieux. Il y voyait une réponse à l’absurde par la fuite plutôt que la révolte. Mais en deça de ce qui reste un jugement moral, se détruire, ou risquer de se détruire, exprime le refus du destin, de l’idée même de destin, la preuve par l’absurde. Jusqu’au fanatique qui se supprime en affirmant accomplir l’œuvre de Dieu, réifié par son délire, il usurpe le pouvoir de celui qu’il adore. L’homme devient homme en disant au grand absent : c’est moi qui décide.

J’espère que le malheureux accidenté de dimanche survivra, et dans de bonnes conditions. Et j’espère que mon fils, qui n’aime rien tant que jouer avec ses petites voitures, ne suivra pas l’exemple de son père. Mais bon… l’être humain est libre de désobéir à son père.















Mes folles années...